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Eloge du doute

Qui se cache derrière cet agent trouble, cet obscur personnage mystérieux et dangereux, perturbateur de l’ordre établi … le doute ?
En hommage aux hésitants, aux indécis, à tous ceux qui ont des états d’âme, des scrupules, des interrogations, des incompréhensions, j’aimerais mener une enquête sur le doute. Pouquoi est-il si inconfortable et si redouté ? Serait-il nécessaire et salutaire ?

Comment naît le doute ? Au départ, une question surgit dans notre esprit : « Et si … ? » Notre mental se met à s’activer et devient incertain quant à la réalité d’un fait, la vérité d’une parole ou la conduite à adopter. C’est donc une mise en question, une interrogation face au monde qui nous entoure.

« Douter c’est faire l’expérience de l’intranquillité »

A ce moment-là, une sensation d’inconfort s’installe, nous sortons de la quiétude, du repos. Notre coeur se met à battre plus intensément, notre ventre se tord, notre souffle devient court … ça y est nous tombons dans les affres du doute et de sa complice de toujours, l’inquiétude ! Douter, c’est faire l’expérience de l’intranquillité.

Or l’être humain recherche avant tout la sécurité et la stabilité, il veut maîtriser son environnement, diminuer les risques, prévoir et anticiper l’avenir ; il vise l’harmonie et la protection, aussi préfère-t-il suivre les normes officielles ou tacites afin de ne pas risquer l’exclusion du groupe. Tout le pousse à se méfier du doute, cause de désordre et de discorde.

Pour les églises, le doute est un crime, pour les gouvernements, il est le ferment des contestations et des révolutions et pour les entreprises une résistance au changement. Bref, la personne qui ose exprimer ses doutes est souvent mal vue et fait l’expérience de la solitude, seule face au doute …

Mais quelle est la peur qui accompagne le doute quand il s’empare de nous ? C’est bien souvent la crainte de se tromper, de prendre la mauvaise voie, de perdre le contrôle des choses et des évenements. Le doute est comme une dissonance cognitive, un bug dans notre programme cérébral, une rupture dans nos routines. Quel est l’antidote ? Plutôt que la recherche de certitudes, seul un esprit curieux et enthousiaste peut nous sortir de l’ornière. Le plaisir d’explorer et de découvrir ce qu’on ne connaît pas encore devient le moteur de l’action et de la créativité. Au lieu de chercher à lever ses doutes a priori, mieux vaut vérifier ses hypothèses en testant les choses dans la réalité, ce qui nous permettra de réajuster nos choix a posteriori. La science fonctionne selon ce principe depuis toujours. Le doute féconde la recherche et incite à l’expérimentation dont l’interprétation des résultats est sans cesse remise en question.  « Qui ne doute pas, acquiert peu » disait Léonard de Vinci.

Or, en dehors du domaine des sciences, quelle quantité de doutes peut supporter un cerveau humain ? Par confort, il va généralement chercher à réduire la part de perplexité, quitte à pervertir la réalité et à nier les faits pour ne pas contredire ses croyances et éteindre toute étincelle de questionnement. Ce refus de l’incertitude devient une arme pour ceux qui utilisent l’insinuation du doute comme instrument de manipulation. Fake news, théories du complot, mensonges et calomnies jettent le trouble dans les esprits et conduisent certains à se réfugier passivement dans des thèses fallacieuses et des réponses « prêtes à penser ».

« Le doute est le sel de l’esprit » – Alain

Or célèbrer le doute, c’est justement rendre compte de sa merveilleuse capacité à défier les préjugés, les convictions et les vérités absolues, donner libre cours à toutes les interrogations possibles et chercher à franchir les limites et les conventions que chacun de nous s’impose, de manière à renouveler notre regard sur le monde. « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou » disait Nietzsche dans Ecce Homo. Le doute est la manifestation de la liberté de l’être humain. Contrairement aux autres espèces vivantes, l’homme a le choix de sa destinée et ne suit pas aveuglément son conditionnement biologique. C’est ce qui fait sa grandeur et sa fragilité : « Je doute, donc je suis ». A travers son pouvoir créateur, il exalte l’incertitude et lance un défi aux vérités établies, sans jamais cesser de s’interroger sur le sens des choses. Une société où le doute n’a pas sa place devient sclérosée et despotique, incapable d’innovation et d’adaptation et finit par disparaître.

Sur le plan individuel, tout peut être sujet de doute. Une promesse, une rencontre, un nouveau job, un vaccin … Soyons aptes à douter de manière permanente, intense et profonde !
Seulement, le doute ne saurait être méfiance, scepticisme, désespoir, crainte, paralysie. Il doit engendrer l’effort, la lecture, la recherche, la réflexion, la compréhension, le débat, l’action, le pas en avant. Dans ces conditions seulement, le doute devient fécond, il est le sel de l’esprit comme disait le philosophe Alain. Il permet de vivre, d’avancer, de partager.

Le doute peut ainsi devenir l’ami de la curiosité insatiable, de l’intelligence foisonnante, de l’exigence, de l’humilité et de l’honnetêté. Combien de grands créateurs, compositeurs, réalisateurs ou écrivains, ont poursuivi leur oeuvre malgré les doutes profonds qui les agitaient, ils ont agi par amour de la musique, du cinéma et de la littérature. En se détachant du regard de l’autre et de l’attente du public, ils répondent à une nécessité intérieure et suivent avec sincérité leur intuition et leur désir intense de s’exprimer. Poursuivre le travail avec ferveur, continuer à avancer tout en n’esquivant pas les remises en question, voilà la véritable discipline.

« Plus on va loin, moins on connaît » – Lao Tseu

Ainsi le doute n’empêche pas le choix ni l’action, il les éclaire en devenant un outil de discernement. Et quand il ne peut être dépassé face à la vastitude et la complexité du réel, il ne nous reste plus qu’à accepter de ne pas savoir, accueillir la part de mystère, d’insoluble, d’inexplicable de la vie … ou à jouer aux dés comme les Romains !

« Plus on va loin, moins on connaît » Lao Tseu

« Le doute est le commencement de la sagesse » Aristote

Crédits photos : Pixabay

Sep 9, 2021

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