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Ensauvagez votre été ! Walk On the Wild Side

En ces temps réglementés et hyperconnectés, il est urgent de débrancher et de s’échapper en relisant « Walden » de Henry David Thoreau. Plus que jamais, la quête de sens individuel se mêle à celle de lien social authentique et de communion avec la Nature. A l’instar de Thoreau, nos vacances d’été peuvent explorer le côté sauvage de la vie et échapper aux règles et conventions des hommes.

En 1845, Henry David Thoreau, américain d’ascendance française, décide de partir vivre seul dans une cabane construite de ses propres mains, au bord de l’étang de Walden, dans le Massachusetts. Là au fond des bois, il mène durant deux ans et deux mois, une vie frugale et autarcique, qui lui laisse tout le loisir de méditer sur le sens de l’existence, la société et le rapport des êtres humains à la Nature.

«Vivre en harmonie avec la nature, mais aussi vivre en harmonie avec soi »

Loin d’être passéiste ni rousseauiste, Thoreau s’engage dans cette aventure comme une expérimentation transitoire qui lui permet de mettre à l’épreuve ses aptitudes à fonder ses actions par lui-même, planter et récolter sa nourriture, fabriquer ses meubles, et surtout vivre avec le strict nécessaire. Ce n’est pas une expérience de pionnier nostalgique ni un acte de rupture avec la société, puisqu’il se situe à moins de 2 kilomètres de son plus proche voisin et reste dans la proximité de sa ville natale de Concord. Son intention est de vivre une expérience personnelle, philosophique et éminemment politique, tout en donnant la preuve qu’une autre économie de la vie est possible. 

Dans son récit « Walden », publié dix ans après cet épisode de vie, Thoreau nous livre une réflexion sereine qui montre qu’il est possible de s’abstraire du monde conventionnel pour devenir réellement soi-même et agir ensuite de manière juste et désintéressée.

Au gré de chapitres vivants et parfois cocasses, Thoreau nous parle de sa vie simple entre les aléas de son expérimentation agricole et ses découvertes de la vie sauvage. Il sème du maïs et des haricots comme les Indiens le faisaient avant l’arrivée des premiers colons et noue une intime et étrange connaissance avec diverses variétés d’herbes folles. Son don d’observation et sa grande capacité à vivre l’instant présent lui permettent de voir ce que les autres hommes ont devant les yeux et ne voient plus.

La postérité a fait de « Walden » le premier manifeste écologique qui célèbre la beauté  et la diversité du vivant, mais les écrits de Thoreau vont beaucoup plus loin et proposent un sens profond à l’existence humaine. Vivre en harmonie avec la nature en fréquentant les plantes et les animaux sauvages, mais vivre aussi en harmonie avec soi, en unissant le corps et l’esprit. Car sa vie est puissamment physique et passe par les cinq sens, il cultive particulièrement l’ouïe et l’odorat qui lui permettent de se déplacer aisément la nuit dans l’obscurité.

C’est là que l’on retrouve le côté sauvage ; revenir aux facultés humaines les plus archaïques, qui loin de déposséder l’homme de son humanité, enrichissent sa perception sensorielle et son intelligence intuitive. Thoreau vise à devenir un homme complet qui utilise à plein ses facultés physiques, sensorielles, intellectuelles, émotionnelles et spirituelles. C’est probablement ce qu’il a de plus puissant à nous enseigner, nous qui sommes devenus majoritairement des êtres coupés de notre nature profonde, enfermés entre quatre murs, assis devant des écrans. Diplômé d’Harvard, grand lecteur des textes classiques et féru de philosophie indienne, Thoreau excerce divers métiers manuels et adopte une approche pragmatique qui prône un apprentissage direct voire primitif de la vie et non un enseignement théorique.

« Sa démarche minimaliste réhabilite magnifiquement l’ordinaire et le proche »

Sa décision d’isolement n’est pas un renoncement aux autres puisqu’il entretient des relations cordiales avec ses voisins fermiers ou bûcherons, et reçoit régulièrement des visiteurs amis ou inconnus dans sa modeste cabane. Sa volonté est plutôt de maîtriser son temps et de ne pas dépendre de contraintes économiques ou sociales édictées par d’autres ou par le système. Il souhaite se gouverner lui-même et ne pas confier l’usage de son temps, autrement dit l’usage de sa vie, à un ordre extérieur.

Loin d’être oisif, il ne ménage pas ses efforts durant la journée, mais jouit de chaque moment en conciliant labeur et émerveillement. Chacun de ses gestes détient un sens profond, du sarclage des haricots à la coupe de bois ou à la cuisson du pain. Dans les eaux vastes et profondes de Walden, il pêche de fabuleux brochets aux tons d’or et d’émeraude et s’adonne, les nuits de pleine lune, à la pêche nocturne. Là est le coeur de son projet, vivre chaque instant intensément, « aspirer la moelle de la vie … et ne rien regretter à l’heure de la mort ».

Sa démarche minimaliste réhabilite magnifiquement l’ordinaire et le proche, contrastant ainsi avec la fascination de ses contemporains pour l’extraordinaire et le lointain. A un explorateur qui revenait d’un voyage en Arctique, Thoreau dira qu’il aurait pu faire la plupart de ses observations scientifiques sur les berges de Walden dans le Massachussets !

Emerson dira de lui : « Pour lui la taille n’existait pas, l’étang était un petit océan et il reliait chaque fait minuscule aux lois cosmiques … Il honorait certaines plantes d’un regard particulier et révérait par-dessus tout le nénuphar, la gentiane et la mikania scandens … Ses yeux étaient ouverts à la beauté, ses oreilles à la musique. Ces choses, il les trouvait non en de rares occasions, mais partout où il allait »Equipé de sa seule curiosité et de sa patience, il vivait en intimité avec la Nature et a su développer un savoir profond de botaniste et de naturaliste sans diplôme universitaire.

Son ouverture alliée à son esprit critique est la marque de sa posture politique si singulière en son temps, et trouve à s’exprimer dans son traité de la Désobéissance civile publié en 1849. Refusant de se soumettre à des lois contraires à ses valeurs, il tente de mener à son niveau une action cohérente avec son éthique de vie. Mais la limite de ce système est vite atteinte, car privé d’ambition et rétif à toute organisation politique, il mène une démarche isolée et peu puissante.

Cependant, son récit de Walden écrit il y a 170 ans, considéré comme un monument de l’histoire littéraire américaine, conserve toute sa fraîcheur et sa modernité aujourd’hui. Comment pouvons-nous nous inspirer de l’expérience singulière de Thoreau et de sa vision holistique ?

« La transformation de la société ne pourra se faire qu’à travers la métamorphose individuelle de chacun »

Entre les colibris de Pierre Rabhi prônant la sobriété heureuse, les survivalistes se préparant à un effondrement du système économique, les modes alternatifs de production de l’économie circulaire, la permaculture, les circuits courts des Amap, les jardins partagés ou les potagers perchés, l’habitat écologique ou participatif tous ces mouvements prennent en quelque sorte leurs racines dans cette même nécessité de limitation des besoins humains et de santé environnementale. La crise sanitaire ne fait que renforcer l’intérêt de certaines options, et questionne notre capacité à mettre en place de manière concrète et urgente des modes novateurs de production, de distribution et de consommation mais aussi d’habitat, de transport, d’éducation et de santé.

Pourtant comme le pensait Thoreau, la transformation de la société ne pourra se faire qu’à travers la métamorphose individuelle de chacun. Et nous sommes traversé.e.s par des désirs contradictoires : goût pour la simplicité et l’harmonie d’un côté et soif de confort, de divertissement et d’expansion de l’autre. Si nous n’arrivons pas à résoudre cette équation des désirs en nous-mêmes, rien ne changera dans les 170 prochaines années ! Ainsi Thoreau nous disait déjà en 1855 : « On se leurre au sujet des progrès modernes car ces progrès sont loin de toujours impliquer une amélioration réelle. Nos inventions sont souvent de jolis jouets qui distraient notre attention des choses essentielles. »

Ca tombe bien, cet été les avions ne s’envoleront probablement pas pour l’extraordinaire et le lointain. Profitons-en pour revenir à l’essentiel.

Puisse la lecture de « Walden », au fond d’un jardin ou au creux d’un sentier, entre l’arrosage des salades et la cueillette des framboises, nous convaincre qu’une vie simple et sauvage, privilégiant du temps pour nouer des relations authentiques, écouter les oiseaux chanteurs et contempler la course des nuages est un projet d’avenir qui a du sens et du goût !

Sources : « WALDEN ou La vie dans les bois » de Henry David Thoreau suivie d’une oraison de Ralph Waldo Emerson – Edition Gallmeister 2017 pour la traduction française

Crédits Photos 123RF

Juin 24, 2020

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