Education humaniste et citoyenne : la prochaine révolution ?
Outre les questions écologiques et sociales, la crise actuelle remet en cause également notre rapport à l’éducation des enfants. Quant on regarde l’histoire des idées sur l’éducation, on est frappé par l’ancienneté et la permanence de ce sujet depuis les philosophes grecs avec Platon et Aristote, les maîtres de la Renaissance avec Rabelais et Erasme, ou encore les penseurs des Lumières avec notamment Rousseau et son « Emile », traité de l’éducation encore largement lu aujourd’hui. Plus récemment, la psychologie de l’enfant a posé les principes fondamentaux d’une éducation stimulante et respecteuse de l’enfant avec le travail de Françoise Dolto ou les théories de l’apprentissage de Jean Piaget.
« L’enfant n’est pas un vase qu’on remplit, mais une source que l’on laisse jaillir. » – Maria Montessori
Tous ces penseurs, quelque soient leurs convictions et leurs époques, s’entendent pour concevoir l’éducation comme un chemin de développement et d’apprentissage ayant pour but de préparer de futurs humains et citoyens autonomes et responsables, aptes à participer à la vie de la collectivité. Plus que le transfert de savoirs théoriques, ce qui importe est la formation de l’esprit critique, la connaissance de soi, la capacité à apprendre par soi-même et dans la joie, l’expérimentation pratique, l’art de communiquer avec les autres, le développement des sens et de l’équilibre corps-esprit.
Où en sommes-nous aujourd’hui au 21ième siècle ? Avons-nous réussi à fonder une école inclusive orientée vers des objectifs de citoyenneté créative, solidaire et éthique ? Est-ce seulement une vision idéaliste ou un projet de société nécessaire afin d’apprendre à œuvrer intelligemment ensemble pour le bien commun ? Peut-on penser un « dispositif école » comme un lieu d’expérimentation à taille humaine, en partant, non pas uniquement du contenu des programmes, mais plutôt du terrain et de la qualité des relations qui unissent enfants et éducateurs ? Cette question est d’autant plus cruciale à l’heure du digital.
Une femme a tenté cette expérience pédagogique et 100 ans plus tard, son modèle d’école semble toujours d’avant-garde. Maria Montessori, née en 1870 en Italie sur les bords de l’Adriatique, docteur en médecine, licenciée en philosophie et en sciences naturelles a consacré sa vie à l’amélioration du potentiel humain, en étudiant le développement naturel physique et psychique de l’enfant. Sa méthode favorise l’éducation conçue comme une « aide à la vie » à travers l’accueil de l’enfant dans des environnements préparés respectant ses besoins fondamentaux, son rythme et permettant son développement harmonieux à chaque période de sa croissance.
D’après Maria Montessori, chaque enfant en tant qu’être humain a la capacité de se construire lui-même, en s’appuyant sur ses propres ressources. L’intelligence, la créativité, la confiance de l’adulte, seront le résultat du travail, des expériences et des conquêtes de l’enfant.
Contrairement à la conception de l’enseignement direct qui consiste à « fournir » à l’élève le contenu du savoir ou la méthode à utiliser pour résoudre un problème, l’approche Montessori stimule chez l’enfant sa curiosité, son ingéniosité et sa soif innée d’expérimenter et de comprendre. Le rôle de l’éducateur est donc de créer un environnement favorable et suffisamment sécurisant pour permettre ces apprentissages le plus harmonieusement possible.
Maria Montessori a observé différentes phases sensibles dans l’évolution d’un enfant qui sont caractérisées par des comportements apprenants comme l’attention intense, la sensibilité à l’ordre, la répétition du geste et le libre choix. En appliquant ces principes simples de relation à l’enfant, l’éducateur va favoriser des qualités de concentration, de discernement, de motivation intrinsèque, d’initiative personnelle, d’auto-discipline et de confiance en soi. L’entraide mutuelle est encouragée plutôt que la mise en compétition et active la capacité à faire également confiance aux autres.
« N’aidez jamais un enfant à une tâche dans laquelle il sent qu’il peut réussir. » – Maria Montessori
Cette méthode met au centre la posture de l’adulte qui agit en soutien du développement de l’enfant. Il s’agit de trouver le juste équilibre. Une position trop directive prive l’enfant de la liberté nécessaire pour explorer l’environnement et faire ses propres expériences. A terme, cela peut porter l’enfant à se construire une image d’infériorité et d’impuissance vis-à-vis des autres, et à croire qu’il n’a pas la capacité d’agir dans le monde. A l’inverse, une position trop passive ou laxiste n’est pas sécurisante pour l’enfant et ne permet pas de poser un cadre stable et protégé à l’intérieur duquel il se sente prêt à explorer.
Aujourd’hui, plus de 22 000 écoles Montessori, de la maternelle au lycée, existent dans le monde, dont plus de 4 500 aux Etats Unis, environ 1 000 en Allemagne, plus de 600 en Grande Bretagne. Plusieurs pays comme la Suède et le Canada ont intégré avec succès la pédagogie Montessori dans des écoles publiques. Depuis l’an 2000, le système éducatif de la Finlande est basé sur les principes de la pédagogie Montessori en introduisant une atmosphère bienveillante et participative dans les classes, sans stress ni pression, où l’élève est mis en position d’acteur de sa propre formation. La France est plutôt en retard sur ce type d’expérimentation au niveau national bien que des initiatives locales voient de plus en plus le jour.
Cette question de l’éducation n’est pas sans impact sur l’état de la société et de l’économie dans toutes ses composantes. Lorsqu’on rencontre dans le monde de l’entreprise des managers qui découvrent à l’âge adulte (et parfois à la maturité) des méthodes de communication bienveillante, de négociation raisonnée, ou d’écoute empathique, on se dit que la société a perdu beaucoup de temps ! Ce bagage de connaissance de soi et d’intelligence émotionnelle, soit le b.a.-ba de la relation à l’autre, devrait être enseigné à l’école au même titre que les mathématiques ou l’histoire.
Aujourd’hui, l’entreprise connaît la même crise de sens et de lien que l’école. L’entreprise française garde la trace du système éducatif, plutôt élitiste et normatif. Les managers sont en perte de repères (comme les professeurs), leur rôle évoluant de manière rapide avec la généralisation du travail à distance et la coordination d’équipes multiculturelles. La capacité à faire confiance et à responsabiliser en donnant du pouvoir, à écouter les émotions et à faciliter les échanges, à inspirer son environnement devient donc primordiale. La nouvelle posture de management prend ainsi ce même chemin vers davantage de co-création en stimulant les talents de chacun et en assurant une cohérence globale. Ce modèle de leadership participatif pose la question de la formation des managers mais surtout de leur réelle marge de manœuvre dans l’exercice de leur fonction.
Face à la complexité accrue et à l’incertitude de l’environnement, les fameuses « soft-skills » s’avèrent cruciales, et les directions des ressources humaines s’emploient à développer les compétences sociales des équipes, la créativité et l’autonomie dans la résolution de problèmes. Pourtant, les structures organisationnelles et les circuits de décision ne favorisent pas toujours le principe de subsidiarité, qui consiste à délèguer le pouvoir de l’action aux acteurs directement concernés. La coopération et l’intelligence collective sont encouragées tout en étant freinées par l’habitude de la compétition à travers les pratiques de notation de performance individuelle et d’individualisation des rémunérations. Le temps est peut-être venu de repenser les systèmes d’évaluation et de partage de la création de valeur en introduisant des critères plus collectifs au niveau de la communauté de travail.
L’enjeu des organisations est donc de créer les conditions d’un environnement suffisamment protégé, autonome et apprenant pour permettre l’expression de la confiance mutuelle entre tous les acteurs, l’agilité dans la prise d’initiative locale et la résilience de l’ensemble face aux mutations et aux menaces extérieures.
« N’élevons pas nos enfants pour le monde d’aujourd’hui. Ce monde aura changé lorsqu’ils seront grands. » – Maria Montessori
Mon rôle d’accompagnement, en tant que coach, consiste souvent à aider les personnes adultes à sortir du système de récompense et de reconnaissance externe et à se reconnecter à leurs besoins essentiels. Dans notre système d’éducation, personne ne nous a appris ni encouragé à explorer notre intériorité ni à développer notre intuition. Au contraire, plus le cycle d’études a été long, plus difficile est le voyage de retour à soi et à ses désirs profonds. Il s’agit souvent de déconstruire les représentations sociales de réussite professionnelle et personnelle afin de définir une vision de l’avenir plus authentique et singulière en retrouvant la trace de ses inspirations véritables.
Dans un monde de plus en plus digitalisé et interconnecté, ces questions d’éducation sont vitales pour préparer les jeunes générations à mieux se positionner face aux innombrables données disponibles en un simple clic. Chercher l’information pertinente, croiser les sources, questionner et analyser avec objectivité, deviennent des compétences essentielles pour ne pas subir la manipulation des réseaux sociaux et de tout autre media. La capacité d’auto-détermination et l’autonomie affective protègent également les jeunes adolescent.e.s contre la désirabilité sociale et la dépendance excessive au regard de l’autre. Un des objectifs éducatifs devrait être d’accompagner ce double mouvement entre appartenance sociale et différentiation individuelle, sur la base du principe de Spinoza : « C’est en devenant le plus utile à soi-même que chacun peut devenir le plus utile aux autres. »
La dématérialisation de la connaissance risque d’éloigner les élèves d’un apprentissage par l’expérience sensorielle et l’intelligence du corps. Au Québec, des enseignants ont introduit le mouvement dans l’apprentissage des mathématiques. Apprendre en bougeant permet d’affûter la concentration et la mémorisation. La coordination des mouvements et la maîtrise d’un geste complexe permettent d’activer des connexions neuronales uniques. Jouer d’un instrument de musique modifie la structure cérébrale et favorise un meilleur apprentissage dans d’autres domaines. Ainsi les disciplines corporelles et artistiques sont essentielles pour favoriser un développement équilibré et complet des petits apprenants comme des grands.
Les enjeux majeurs écologiques et sociétaux qui concernent les jeunes générations plus qu’aucune autre, exigent des aptitudes inédites d’inventivité, de vision systémique, de coopération croisée et de responsabilité globale ; or ces capacités sont peu enseignées aujourd’hui par des disciplines qui restent séparées les unes des autres. Pour opérer un shift de conscience, une nouvelle approche plus transversale pourrait voir le jour en intégrant un enseignement par projet sur des sujets pluridisciplinaires, faisant appel à des connaissances en histoire, économie, politique, sciences naturelles, littérature et réflexion philosophique, le tout animé par une équipe pédagogique soudée et collaborative.
Mais alors si les méthodes pédagogiques existent, si les techniques numériques multiplient les possibilités de mutualisation des savoirs, pourquoi les institutions scolaires et universitaires sont-elles si lentes à se transformer ? Si l’on en croit les études PISA *, la Finlande fait figure d’exception aujourd’hui dans ses méthodes et ses résultats, mais ce pays compte 5,5 millions d’habitants soit 2 fois moins que la seule population d’Ile-de-France. Il s’agit plutôt d’un laboratoire d’innovation pédagogique, qui pourrait bien inspirer d’autres pays pour favoriser la performance du système éducatif, la satisfaction personnelle des élèves, l’égalité des chances et l’inclusion de tous les types d’intelligences.
En termes d’orientation professionnelle, si de nouveaux métiers apparaissent dont certains, dénués de sens, ressemblent plutôt à des « bullshit jobs », on observe de plus en plus d’intérêt pour les anciens métiers de l’artisanat ou métiers dits manuels, qui répondent à des critères de simplicité et d’utilité voire de beauté. Aujourd’hui en France, en matière d’excellence, l’Ecole Boulle ou l’Ecole Ferrandi font davantage rêver que HEC ou Polytechnique.
Quel sera l’avenir de l’école et du système éducatif ? Comment les pressions de l’environnement social et la maturation des consciences vont-elles impacter les méthodes et les dispositifs d’enseignement ? Quel sera le rôle attendu des enseignant.e.s aux côtés de l’intelligence artificielle et de la diffusion accélérée des savoirs ? « La connaissance s’acquiert par l’expérience, tout le reste n’est que de l’information » disait Albert Einstein. L’enseignement supérieur prendra-t-il la forme de l’auto-formation participative des Ecoles 42 fondées sur une pédagogie ouverte de « peer-to-peer learning », sans cours ni professeurs, qui permet aux étudiant.e.s d’apprendre et d’être évalué.e.s par les pairs en collaborant à des projets ? Nous reviendrons peut-être à une version modernisée du compagnonnage afin de transmettre les savoir-faire et le bagage culturel nécessaires à la formation à un métier, à travers une série de pratiques éducatives encadrées par des communautés professionnelles réelles et virtuelles. Une nouvelle histoire de l’apprentissage actif et coopératif qui replongera dans le passé des hommes pour mieux inventer l’avenir.
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* PISA : Programme international pour le suivi des acquis des éleves piloté par l’OCDE
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